Le proselytisme au sein des populations pentecotistes tsiganes en France

Publié le par GEIPE

 Julia Peyron 

Doctorante en géographie, Bordeaux III

 

 

La Mission Evangélique Tsigane (dit la MET) est fondée en 1968, suite à la conversion de quelques familles tsigane depuis 1950, sous l’impulsion du pasteur Clément le Cossec. Au cours d’une tournée d’évangélisation en Bretagne, il rencontre une famille dont il soigne la femme par imposition des mains. A partir de là la nouvelle va se répandre au sein des populations tsiganes et le pasteur Le Cossec se consacre entièrement à l’évangélisation de ces populations. En 1976, la MET est rattachée à la Fédération Protestante de France, par la volonté de ses fondateurs de ne pas être assimilé à une secte et de rester dans la légalité. La MET est un mouvement très dynamique au sein des populations tsiganes françaises. Les premières conversions datent des années 1950. Depuis un nombre considérable de tsiganes se sont convertis, et la tendance est celle d’une accélération des conversions. Cette évolution est telle qu’il est impossible de comprendre le monde tsigane actuel sans prendre en compte ce phénomène.


L’ampleur qu’a pris ce mouvement en quelques décennies résulte d’un prosélytisme très actif, aussi bien en direction des tsiganes déjà convertis, qu’en direction des tsiganes à convertir, catholiques pour la très grande majorité. Face à la vitesse de conversion des populations, force est de constater l’efficacité des outils et des moyens déployés. La MET déploie un zèle ardent pour recruter des adeptes.

 

Aujourd’hui le mouvement pentecôtiste tsigane est essentiellement organisé par l’association Vie et Lumière. On parle de « l’Eglise Vie et Lumière ». Cette association est propriétaire d’un domaine dans le centre de la France, à Gien, où se trouvent le secrétariat général et l’école biblique formant les futurs prédicateurs. L’association Vie et Lumière est chargée du volet religieux correspondant à l’organisation du mouvement. En parallèle il existe depuis 1975 l’ASNIT[1], volet laïc de la mission évangélique tsigane. L’ASNIT siège au sein des instances publiques comme la Commission consultative des gens du voyage. Les moyens déployés par Vie et Lumière sont importants car il s’agit de l’image que la MET souhaite donner d’elle-même.

 

LE ROLE DES PASTEURS DANS LE RALLIEMENT DES TSIGANES AU PENTECOTISME

 

La figure du pasteur dans le pentecôtisme joue un rôle important dans le développement du pentecôtisme par rapport au catholicisme. Le pasteur est la personne chargée du culte protestant. Il est nommé pour un temps donné. Le pasteur gère administrativement le mouvement pentecôtiste. Ainsi, le premier des outils de propagation du mouvement est le pasteur pentecôtiste lui-même. Un des organisateurs du mouvement souligne que « tout ces hommes constituent l’armature du mouvement et c’est sur eux que repose l’extension de celui-ci »[2]. Chacun a son « histoire de transformation de vie », c'est-à-dire son expérience personnelle de rencontre avec Dieu et Jésus, la raison de sa conversion,  témoignages très proches des fidèles.

 

L’école biblique est destinée à former de véritables « serviteurs de Dieu », les pasteurs sont appelés ainsi à l’intérieur du mouvement. La formation de ces prédicateurs dure huit mois au centre de Gien. Courte et légère, elle permet le recrutement de pasteurs au sein même de la communauté tsigane. Si l’éducation religieuse et spirituelle est majoritaire -acquérir une connaissance de la Bible - les pasteurs sont aussi formés à négocier avec les autorités politiques. Ils acquièrent de fortes capacités d’organisation et une maîtrise de la législation qui leur permet d’être présents dans la majorité des départements français. Les autorités publiques les reconnaissent comme interlocuteurs. A travers ces pasteurs, Vie et Lumière revendique le droit au voyage, au rassemblement et au stationnement. Revendications d’autant plus importantes qu’aujourd’hui les tsiganes se trouvent confronté à de sérieux obstacles dans leur mobilité. Le troisième volet de la formation vise à transmettre les moyens destinés à convertir leurs semblables. Les pasteurs sont formés à prêcher aux tsiganes convertis et non-convertis. Vie et Lumière leur annonce dès le début de la formation « Convertir est LA mission des pasteurs ». Le but de la MET est de propager l’Evangile par les prédicateurs qui sillonnent la France et le Monde, souvent à plusieurs. En France, des pasteurs parcourent en permanence le pays. En 2011, 98 groupes composés de 2 à 3 pasteurs et d’étudiants pasteurs réalisent des « tournées d’évangélisation », principalement d’avril à septembre. Ces tournées consistent à aller sur les terrains vers les tsiganes convertis et non convertis. La structure de la société tsigane, en partie nomade, est utilisée pour la propagation de la doctrine de la MET. La  politique est d’implanter des églises là où vivent suffisamment de tsiganes. A titre d’exemple, il existe sur l’agglomération bordelaise deux églises Vie et Lumière (derrière la gare Saint Jean, et à Cenon), et une troisième est en construction (à Ambarès). Les églises sont des assemblées de fidèles se réunissant dans le même but : célébrer la parole de Dieu.

Ainsi le rôle des pasteurs est de diffuser la parole de Dieu grâce aux connaissances de la Bible. Pour cela les pasteurs se doivent de constituer des modèles. Cela n’est pas toujours respecté dans la réalité, mais on leur demande d’assumer les interdits. Ne pas boire d’alcool, ne pas fumer, rester fidèle, sont des règles de conduite que sont tenus de respecter tous les convertis.

 

Les conversions au sein de la population tsiganes se font essentiellement par le biais du bouche à oreille. Les pasteurs convertissent par leurs prêches, ainsi que lors de discussions informelles. Puis les personnes converties répandent à leur tour la parole de Dieu auprès des leurs. Les populations tsiganes ayant un fonctionnement autour de la cellule familiale élargie, l’effet d’expansion à travers ces familles s’avère extrêmement rapide et efficace.

Le mouvement pentecôtiste ne fait pas usage d’Internet, les tsiganes se connectent relativement peu, comparé à la société environnante. On peut aussi se demander si ce fait n’est pas une volonté de ne pas atteindre les non-tsiganes. Vie et Lumière détient bien un site mais celui-ci est très rarement mis à jour. Il ne l’a pas été depuis mars 2010.  Les informations circulent en interne par le bouche à oreille, des pasteurs aux familles, puis de celles-ci à d’autres. Les personnes converties peuvent être très impliquées dans l’évangélisation. Ainsi, à titre d’exemple,  lorsque je me rends sur les lieux de culte, on m’aborde souvent en me demandant si je suis chrétienne et chacun m’expose son témoignage, en récitant des discours évangélistes.

 

LES ACTIONS MISSIONNAIRES A L’ETRANGER : IMAGE POSITIVE DE LA MET

 

Le berceau du réveil pentecôtiste tsigane est situé en France, mais l’objectif de la MET est de réunir tous les tsiganes du monde, quelque soit leur origine géographique, des Balkans, des Etats-Unis, d’Inde, et quelque soit leur communauté, gitans, manouches ou roms. A savoir, tsigane est le terme générique regroupant ces trois groupes qui se sont constitués par l’histoire de leur migration à partir de l’Inde. Outre l’action évangéliste en France, l’église Vie et Lumière est donc présente dans 40 pays.

 

Le mouvement pentecôtiste met en avant ses activités missionnaires vers l’étranger. Il s’agit d’évangéliser les tsiganes dans le monde. Les actions les plus importantes sont dirigées vers les pays de l’Est et vers l’Inde. Elles ont pour but d’une part d’évangéliser à terme la totalité des tsiganes dans le monde, et d’autre part de développer une image positive du mouvement auprès des tsiganes pentecôtistes français. La MET, à laquelle ils appartiennent, réalise des actions sociales fortes : aide matérielle, financière ou institutionnelle.

 

Ainsi la mission « Vie et Lumière Inde », dirigée par deux pasteurs, est-elle hautement valorisée par la MET auprès des pentecôtistes tsiganes. Cette mission est importante dans la conscience des tsiganes car elle fait référence aux origines indiennes des populations tsiganes. Il existerait, selon la MET, 60 millions de tsiganes en Inde. L’action de cette mission consiste ici à construire quelques puits pour ces communautés tsiganes et à tenir des pensionnats (en 2011 au nombre de 8). Les enfants sont logés, nourris, reçoivent une éducation scolaire et une culture religieuse. Ces actions sont extrêmement valorisées auprès des tsiganes convertis. Lors des conventions[3], un DVD de présentation de cette action est distribué gratuitement. Tout au long du film, les auteurs du DVD insistent sur le bien qu’ils font à ces enfants avec des formules telles « eux qui n’ont jamais rien reçu, voyez leur bonheur, la joie de ces enfants sauvés », ou encore « ces enfants sont tellement heureux de nous donner des colliers de fleurs, c’est un honneur pour eux », « ils remercient le seigneur, remercient leur donateurs qui donnent 250 euros par mois, quel bonheur pour un chrétien de donner ».

 

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Si l’activité missionnaire en Inde est la plus médiatisée - notamment car elle permet un retour aux sources - les activités dans les Pays de l’Est auprès de la communauté rom participent également à créer cette conscience d’apporter au plus grand nombre la parole de l’évangile. Lorsque la MET s’est intéressée à la Russie, elle titrait la une de sa revue (n° 174 / 2001) : « Ouverture d’une page importante dans l’évangélisation, le plus grand champ missionnaire jamais atteint ». Lors des missions et conventions, on peut voir au dessus de chaque stand de vente des CDs de chanteurs la destination des bénéfices : Kosovo, Serbie, Roumanie… Les buts de ces actions sont divers : évangéliser, donner une image positive de la MET et recueillir des subventions. L’appel aux dons est récurrent pour financer les projets matériels (construction de puits, achats de bicyclettes, de bibles, construction d’églises ou autres bâtiments), parrainer des enfants, soutenir un prédicateur ou financer des délégations pour évangéliser. Toute occasion est bonne pour remercier tout ceux qui soutiennent la MET dans l’évangélisation des tsiganes du monde entier.

 

LES SUPPORTS UTILISES PAR LA MISSION EVANGELIQUE TSIGANE

 

- La Revue Vie et Lumière

 

Le support principal de l’association Vie et Lumière est sa revue, du même nom. Elle est crée en 1970. La revue est lancée par le pasteur Clément le Cossec. Elle est la propriété de la MET qui publie en plusieurs langues quatre numéros par an.

 

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La revue traite de l’actualité nationale dans la rubrique « Nouvelles de France », de l’actualité des activités missionnaires en Inde et Pays de l’Est et offre des témoignages.  Les actualités de France portent sur l’ouverture de nouvelles églises, sur les conventions les plus importantes, sur la formation des pasteurs et toutes informations à diffuser. La revue insiste particulièrement sur l’évangélisation des tsiganes dans le monde. Chaque numéro relate l’aventure de délégations missionnaires dans les pays de l’Est et en Inde. Régulièrement elle relate les chiffres du nombre de baptisés, qui ne cesserait d’augmenter de façon exponentielle. Enfin, les témoignages portent sur des conversions personnelles, les raisons et les motivations. Certains évoquent des guérisons miraculeuses (par imposition des mains ou par la prière) de pathologies physiques relevant de la médecine ou de pathologies sociales tels que l’alcoolisme, le tabagisme, la violence, l’infidélité.


La revue est aussi le moyen d’appeler les fidèles à faire des dons, des offrandes afin de soutenir les missions caritatives et soutenir la MET, qui ne fonctionnerait que sur les dons des tsiganes.

 

La revue Vie et Lumière permet d’unifier le mouvement en France en centralisant toutes les informations. Elle retrace régulièrement l’histoire de la MET, du réveil pentecôtiste en France et de l’expansion du mouvement.

 

- L’émission de Radio Vie et Lumière

 

L’association Vie et Lumière diffuse une émission sur les ondes de la radio protestante deux fois par semaine. Cette émission de radio sert à instruire, à informer, à divertir et toujours bien évidement à évangéliser. Elle permet à la MET de se faire connaître et de faire connaître sa doctrine. L’émission diffuse des prêches, des chants, des témoignages. Elle fonctionne grâce aux dons des chrétiens.

 

LES CONVENTIONS COMME MOMENT DE PROSELYTISME INTENSE

 

C’est essentiellement lors des conventions et des missions que le prosélytisme est le plus actif. Convention vient du latin conventio de venire : venir. C’est dans le sens d’une « venue à Dieu » qu’il faut comprendre la convention. Ce n’est pas le propos de cet article mais il est important de souligner que l’intérêt religieux n’est pas la seule motivation chez les participants à se déplacer sur les conventions. En effet, il s’agit également d’un lieu de rencontre, d’échanges et de retrouvailles, autrement dit un véritable réseau de sociabilité. Et justement, la présence de tsiganes non convertis, venus pour retrouver la famille, ou travailler, est l’occasion pour la MET de toucher ces personnes. Ainsi une femme me racontait que son mari avait été touché par la grâce de Dieu alors qu’il se rendait sur les missions pour travailler et l’accompagner.

 

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Les conventions réunissent des conditions très favorables à un prosélytisme très actif, voire agressif. Les réunions se déroulent sous un chapiteau, vu comme « une cathédrale de toile » par un manouche[4]. Le moment appelés Etudes, souvent le matin, est l’occasion de transmettre des connaissances de la bible à un public qui connait mal le livre (exemple d’une Etude : Tempête dans le couple de Moïse par René Zanoletto). Outre ces moments d’enseignement, les journées sont ponctuées de réunions, 4 à 5 par jour, appelées Evangélisation. Ces réunions sont constituées de prêches très virulents - les pasteurs s’expriment avec une voix forte, s’accompagnant d’amples gestes brusques, se penchant sur la tribune pour se rapprocher des fidèles -. De nombreux témoignages et chants accompagne ce prêche, jouant sur l’émotionnel (personnes qui témoignent avec des trémolos dans la voix, dans une attitude de souffrance).

 

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Il est important de dire un mot sur la musique. La musique, les chants, participent activement à créer une ambiance propice à la réception du message religieux. Lors des célébrations, la musique traditionnelle ou actuelle occupe une place importante. Elle traduit la foi et la ferveur de la communauté. De nombreux jeunes tsiganes se sont spécialisés dans la composition musicale. Chacun écrit ses paroles et compose sa musique. Les CDs se vendent très bien sous le chapiteau de la librairie, la plupart au profit d’œuvres caritatives. Les titres d’album et de chansons sont très évocateurs (ainsi l’album de Josué Grâce et Vérité destiné à l’œuvre missionnaire en Serbie comprend une dizaine de chansons parmi lesquelles : Prends ma main, A celui qui nous aime, Rien ne peut me séparer de Jésus…). La musique est un véritable vecteur de la foi et chaque réunion est ponctuée d’intermèdes musicaux.

 

Lors de ces conventions, une librairie propose différents produits religieux : de nombreuses bibles avec leurs housses et autres fascicules, des CDs au profit d’œuvres caritatives, et toute une série de bracelets, porte-clés avec message ou symbole de la mission.

 

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Le mouvement pentecôtiste tsigane est très dynamique et ne cesse de se répandre dans la communauté au détriment du mouvement catholique tsigane. La MET est très influente auprès des tsiganes. Elle a su se couler dans la culture tsigane et s’y adapter aux moyens d’outils efficaces. Sa force provient en partie de sa capacité militante, de son organisation et au fait que le mouvement appartienne à part entière à la communauté tsigane.


Cependant, le mouvement pentecôtiste tsigane est exclusivement replié sur la communauté tsigane. La mixité existe uniquement entre les différents groupes tsiganes, mais il n’existe aucune mixité avec les non-tsiganes, dits gadjé. Dans son prêche du 25 avril 2011, René Zanoletto insiste sur le fait qu’il ne faut pas avoir peur de la mixité, tant que les personnes sont pentecôtistes. Puis quand il liste les groupes concernés, il s’agit bien de mixité entre gitans, manouches et roms, sans mentionner les gadjé. Il s’agit donc d’un choix de rester dans une « église de tsiganes ». L’église Vie et Lumière est également séparée des autres églises évangéliques françaises. C’est une église qui se vit réellement de manière autonome au sein même de la communauté.

Julia Peyron


[1] ASNIT : Association Sociale Nationale Internationale évangélique Tsigane.

[2] Entretien du 25/04/2011

[3] Convention : lieu de culte itinérant, souvent sous chapiteau, réunissant quelques dizaines de caravanes (on parle alors plutôt de mission) à quelques centaines, voire milliers de caravanes.

[4] Entretien 20/02/2010.

Publié dans Travaux de recherche

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G
Bonjour,<br /> J'aimerai savoir qu'elle est la position des pasteurs évangélique par rapport à la scolarisation des enfants en établissements scolaires et notamment la scolarisation au collège. Quels discours<br /> tiennent-ils?<br /> Merci
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D
Vous dites : "Dans son prêche du 25 avril 2011, René Zanoletto insiste sur le fait qu’il ne faut pas avoir peur de la mixité, tant que les personnes sont pentecôtistes."<br /> <br /> Quels sont ses propos exacts ? Dit-il réellement cela ?
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M
<br /> Bonjour,<br /> Je viens de lire votre article et votre opinion sur Vie et Lumière, Vous jugez sans connaître.<br /> D’une part vous vous êtes trompé sur toute la ligne et vous jugez selon votre regard mais pas par des fais réel.<br /> Vous dites “ pas de Gadjé“ mais Mr René Zanélato est un gadjo et responsable en plus de la mission Vie et Lumière<br /> Je suis le monde des Tziganes depuis maintenant 22 ans et je regarde de près Vie et Lumière, vous avez là Une association complètement transparente alors essayez de ne pas la salir.<br /> Très cordialement,<br /> <br /> <br />
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S
<br /> En fait.... je vois bien que l'auteure est Julia Peyron. Très bon article d'ailleurs! Mais ce serait bien de le signer et de mettre plus en valeur le nom de l'auteure.<br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Cher SF,<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Merci pour cette remarque pertinente. C'est remédié. Rendons à Julia ce qui appartient à Julia.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> Bonjour, qui a écrit l'article ? On aimerait bien savoir. Merci !<br /> <br /> <br />
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